Miroirs pour les Aveugles

traduction par Francoise Millescamps

Note: This is a translation of an early version of "Mirrors for the Blind". A translation of the longer, newer version - the English, Dutch and German ones - would be most welcome.

Il était une fois un homme entre les mains duquel tomba un couteau pour tailler le bois.

Il ne savait pas exactement quoi en faire, car il ne savait pas tailler le bois. Pourtant, guidé par une force intérieure il se mit à tailler et à tailler encore... et ce qui lui apparu après quelques instants le laissa tout simplement ahuri: c’était lui-même, enfin pas tout à fait puisque c’était une miniature de lui-même. Et à son grand étonnement son double lui adressa la parole.

‘Eh bien, qu’attendez-vous pour fixer les ficelles, je suis impatient de bouger.’

‘F- ficelles?’ bégaya-t-il, mais pourquoi des ficelles?’

‘Parce-que toutes les marionnettes en ont d’ailleurs, et comment vous appelez-vous?’

Stupéfait, il répondit: ‘Sigurd.’

‘Alors, moi je serai le Roi Sigurd. Maintenant nous avons beaucoup à faire.’

Une fois qu’il eut surmonté sa surprise Sigurd fixa les ficelles et commença à apprendre l’art du marionnettiste.

Après beaucoup de pratique, il osa enfin montrer la marionnette au public. A sa grande surprise peu de gens pensèrent qu’il s’agissait d’une marionnette plutôt que d’un être véritablement vivant. Et donc très vite il considéra parfaitement normal que la petite marionnette lui parlait. Dès qu’il eut l’occasion, il posa la question qui lui brulait les lèvres: ‘Quelle est cette mission dont tu me parles parfois?’

‘Patience,’ dit la marionnette, ‘nous devons d’abord nous équiper pour le voyage, puis je te révèlerai ce que c’est, cette mission.’

Sous les directives de Roi Sigurd, Sigurd le tailleur de bois s’occupa de fabriquer d’autres objets en bois.

‘Nous devons avoir quelqu’un qui soit mon contraire,’ dit le Roi.

‘Un mendiant?’ demanda Sigurd.

‘Pas exactement... plutôt quelqu’un qui s’imagine que la vie le maltraite. On va le nommer Victimus Ultimus, la dernière victime.’

Ce qui émergea après des heures de travail, fût une personne à l’allure misérable avec une jambe en bois et un crochet de fer broyé à la place de l’une de ses mains. Pour terminer Sigurd plaça le misérable personnage dans un billot.

‘Qu’en penses-tu?’ demanda-t-il au Roi Sigurd.

Celui-ci examina la nouvelle marionnette et répondit: ‘Parfait, c’est bien exactement mon contraire,’ et il se retira sur sa chaise.

Cette nouvelle marionnette était la plus pitoyable des créatures aux gémissements si lugubres qu’il faisait fuir les loups par les soirs de pleine lune. Un jour le Roi Sigurd étonna le tailleur de bois en lui annonçant: ‘Je vais t’emmener dans des rêves dont tu n’as fait jusqu’ici que rêver. Cependant je sais que lorsque tu étais enfant tu aimais chanter en plein air.’

‘Maintenant le seul endroit où je chante encore, c’est ma baignoire!’ intervint Sigurd.

‘Et bien pourquoi ne chanterais-tu pas partout où tu en as envie? Dans la rue par exemple?’

‘Je n’oserais pas!’ s’exclama le tailleur.

Le Roi Sigurd se redressa de toute sa hauteur, jusqu’à ce qu’il ait tout à fait l’allure d’un Roi et prononça le décret royal: ‘Partout où j’irai, tu iras aussi.’

‘Est-ce là notre mission? Chanter dans les rues?’ demanda Sigurd.

‘Non, mais ceci nous aidera à mener à bien la mission,’ répondit le Roi.

Pour se préparer à cette carrière de ménéstrels ambulants le Roi donna l’ordre à Sigurd de tailler un beau petit orgue, puis de fabriquer une carriole pour transporter les marionnettes et tout le bric à brac dont ils auraient besoin en route. La carriole servirait également de coulisses lors du spectacle.

‘Donne-lui l’apparence d’un château,’ ajouta le Roi d’un ton impérieux.

Le tailleur de bois mit tous ses efforts à construire le château de sorte que lorsqu’il fut terminé, il avait vraiment une apparence majestueuse. Le Roi Sigurd hocha la tête en signe de compliment donnant en même temps son approbation royale.

‘Eh bien,’ dit le tailleur de bois, ‘si nous sommes tous prêts à partir, tu peux certainement me révéler enfin le contenu de la mission.’

‘Pas si vite,’ répondit la marionnette, ‘il y a une... hmmm... une personne en plus qui doit absolument se joindre à la caravane. Peux-tu le deviner?’

‘Non.’

Le Roi Sigurd ricana: ‘Une Femme.’

‘Qui? Pourquoi? Je veux dire quel genre de femme?’

‘Ne pense pas, laisse seulement tes mains libres d’agir.’

Sigurd ramassa son cher vieil ami, le couteau à tailler, se vida l’esprit de toutes intentions conscientes et commença à tailler. Ce qui emergea après de nombreuses heures était une... Sorcière!

Mais c’était une sorcière très différente de l’idée que nous nous en avons de nos jours. Il y a trés longtemps la sorcière était une sage (c’est d’ailleurs ce que le mot ‘sorcière’ signifie vraiment) et c’était là, la nouvelle création de Sigurd. Pour parachever l’effet de ‘bonne’ sorcière, le tailleur remplaça son balai (sur lequel les vilaines sorcières volent) par un tapis magique.

Le Roi Sigurd examina la nouvelle marionnette et après un moment de réflexion déclara: ‘Une sorcière authentique, exactement celle dont toute caravane digne de ce nom a besoin. Je suis fier de toi,’ dit-il. ‘Elle s’appellera Yin-Yin la Sage, etant donné qu’elle est capable de faire face aux aléas de la vie. Elle est aussi capable de donner et de recevoir de l’amour plus facilement que la plupart des gens que je connaisse et sa Sagesse nous rendra grand service lorsque ça devient vraiment difficile ici-bas.’ Il s’arrêta net lorsqu’il vit le tailleur de bois se raidir en entendant ces paroles et il se corrigea: ‘Elle sera capable de nous aider lorsque les enjeux deviendront vraiment importants.’

Mais Sigurd ( le tailleur) se lassait de devoir attendre si longtemps qu’on lui dise en quoi consistait la mission. Aussi demanda-t-il d’un ton maussade: ‘Et bien, maintenant êtes-vous prêt à me dire ce que c’est cette mission?’

‘Presque. Il ne te reste plus qu’une seule petite chose à fabriquer,’ dit le Roi.

‘Et qu’est-ce que c’est?’ demanda Sigurd avec résignation.

En guise de réponse, le Roi Sigurd se mit à chantonner une devinette:

’Il y avait un homme
qui vint à la ville.
On lui demanda,
pourquoi êtes-vous venu en ville?
Mais pour vendre des mirroirs aux aveugles.’

Et étrangement la compréhension entre eux deux était devenue tellement grande que Sigurd sembla comprendre immédiatement ce qu’il lui fallait faire. Il se mit à tailler un superbe Miroir Magique surmonté d’une magnifique couronne.

‘Tous ceux qui regarderont dans ce miroir magique y verront leur image portant une couronne et cela leur rappellera le Roi ou la Reine enfoui en eux,’ dit le Roi Sigurd et il ajouta avec tristesse, ‘la plupart des gens ne veulent pas le voir,’ mais il redevint joyeux en se rappelant une chose, ‘maintenant je peux enfin révéler le contenu de notre mission.’ Et il fit une pause trés théâtrale. ‘Nous allons voyager par monts et par vaux, chanter dans les rues de nombreux pays et nous allons attirer autant d’attention que possible de façon à ce que les gens puissent s’approcher et jeter un regard au Miroir Magique. Ainsi ils verront qu’ils sont des cadeaux parfaits de la création (tels qu’ils sont sans avoir à faire quoi que ce soit). Des Rois, des Reines pour toujours,’ annonça-t-il en agitant les bras en tout sens.

‘Penses-tu que cela marchera? Je veux dire ressentiront-ils vraiment toute cette bonté en eux.’

‘Peut-être pas tout de suite,’ répondit le Roi, ‘car c‘est quelque chose qui a besoin de s’épanouir, mais nous sèmerons la graine.’ Le Roi Sigurd réfléchit un moment puis il dit: ‘Nous pouvons essayer si cela marche sur la créature la plus désespérée du monde - bien que ce soit seulement pour quelques secondes. Alors cela marchera à coup sûr. Viens, commençons par Victimus Ultimus.’

Ils mirent le miroir magique devant Victimus Ultimus qui, s’apercevant qu’il avait du public se mit immédiatement à geindre pitoyablement.

‘Aouuwwaaiii!!!’

Juste à ce moment-là le Roi Sigurd fut distrait par le bruit du vent qui s’engouffre et Yin-Yin entra en volant sur son tapis magique. Elle se pencha vers lui et chuchota quelques mots à son oreille. Le Roi Sigurd hocha la tête, puis s’approcha de Victimus et se mit à chanter. C’était un air si simple et pourtant si captivant que le tailleur fut surpris de se joindre à lui:

Vous êtes le Soleil derrière le Soleil
Vous êtes le Soleil
Vous êtes le Soleil derrière le Soleil
Vous êtes la Lune
Vous êtes la Lune derrière la Lune
Vous êtes la Lune
Vous êtes la Lune derrière la Lune
Vous êtes le Soleil...

Entendant la mélodie et les paroles Victimus Ultimus se tut vite et se mit à regarder avec intérêt son reflet dans le Miroir du Roi Sigurd. De la même manière qu’un bourgeon de fleur de lotus s’épanouissant brusquement en une fleur aux mille pétales Victimus commença à s’épanouir. Et le croiriez-vous? Au bout d’un moment sa jambe de bois se mit à marquer le rythme de la musique et il dansait.

Le Roi Sigurd se tourna vers le tailleur de bois et lui demanda avec emphase: ’Etes-vous satisfait?’ Sigurd hocha la tête avec enthousiasme. ‘On y va alors?’ dit le Roi.

‘Au fait, où va-t-on?’ demanda Sigurd.

Yin-Yin la Sage entendit la question. Elle s’approcha du Roi en lui chuchotant à nouveau à l’oreille. Le Roi leva les yeux sur le tailleur de bois, sourit d’un sourire énigmatique et commença à chanter une de ses devinettes:

Nous partons en voyage
Vers nulle part
Sans se faire de soucis
Sans se presser
Il n’y a pas d’urgence
Même pas d’inquiétud
Pas de fardeau
Profitons de la vie libre....

Bientôt tout le groupe chantait en chœur et donc la caravane avec le Roi Sigurd, Sigurd le tailleur de bois (et également marionnettiste) Yin-ino la Sage et Victimus Ultimus se mirent en route, sans oublier, bien-sûr les choses essentielles pour mener à bien leur mission: le château, l’orgue et la chose la plus importante: le Miroir Magique du Roi Sigurd.

FIN